Depuis le début de l’année 2020, un nouveau mot envahit le quotidien, les médias : « coronavirus ». Au début, on y prête attention avec le même œil compatissant que l’on donne aux autres problèmes mondiaux avant de reprendre le cours de nos vies à cent à l’heure. Puis ce mot étonnant se fait de plus en plus de place, se précise en « Covid-19 » et résonne de plus en plus à nos oreilles. Jusqu’à ce qu’un jour, tout bascule. Quasiment du jour au lendemain, les rues sont vides, les portes closes, une ombre insaisissable pèse sur nos vies, apportant son lot d’anxiété et de psychose. D’un coup d’un seul, nos quotidiens, si bien huilés qu’ils ne nous demandaient plus de réfléchir, cessent d’exister et nous nous retrouvons à devoir tout rebâtir. Mais comment ? Quels actes allons-nous préférer à d’autres ? Quelle routine allons-nous réinventer ? Quel regard allons-nous porter sur les choses ?
On parle de « Grande crise 2020 ». Or, le mot « crise » porte plusieurs sens : il peut signifier « une explosion de symptômes pathologiques » dans le cadre de la médecine, une « réaction émotionnelle intense»… On parle aussi de « moment de bascule » ou du « nœud de l’intrigue » au théâtre… Quant à l’univers sociétal, on évoque le « trouble profond d’une société » ou un « dysfonctionnement » dans l’économie… Toujours est-il que ce « trouble profond », ce « dysfonctionnement », cette « explosion de symptômes pathologiques » est toujours accompagné par l’espoir ou la crainte d’un changement profond. Le célèbre auteur réaliste du XIXème siècle, Balzac, évoque les conséquences qui peuvent survenir suite à une crise : « Dans ses grandes crises, le cœur se brise ou se bronze » dit-il. Dans la situation présente, le « cœur » symbolise l’Homme, son individualité mais aussi son humanité. Par « individualité », nous entendons chaque être humain considéré par rapport à l’espèce humaine, chaque personne, et par « humanité » nous entendons le caractère de ce qui ou de celui qui est humain. Ainsi, si le « cœur » de Balzac est, dans notre situation, l’individualité et l’humanité de l’Homme, quelle effet la crise a-t-elle sur lui : le brise-t-elle ? le « bronze » -t-elle (autrement dit, le renforce-t-elle, l’améliore-t-elle) ? Ou bien est-ce plus subtil que cela ?
Tout d’abord, le premier aperçu qui ressort de cette crise de 2020, c’est une population mondiale blessée, touchée, affaiblie. Avec Balzac, on pourrait dire que la crise nous brise. Alimentée par les médias, l’anxiété touche l’ensemble de la population mondiale et nous affaiblit. La peur est le sentiment dominant aujourd’hui et se cache derrière tous les visages. Personne ne peut réellement se dire éloigné de la peur : quand on est malade, c’est la peur de mourir. Âgé, c’est la peur de tomber malade. Jeune, c’est la peur de perdre quelqu’un. Quand on est soignant, c’est la peur de ne pas maîtriser le virus et de participer à son expansion.
La peur fait perdre toute capacité de pensée rationnelle, et passé, présent et futur sont touchés par cette inquiétude. On craint pour la situation présente : jusqu’à quand le confinement va-t-il durer ? Et pour le futur, dont on ne sait pas de quoi il sera fait : comment sera ma vie ? Mon entreprise va-t-elle faire faillite ? De plus, le passé ramène aussi ses cartes sur la table. Les peurs ancestrales qui sont gravées dans notre mémoire collective refont surface. On a peur de revivre le passé, on fait des associations avec la peste noire par exemple.
Etonnamment, on craint aussi la peur de l’autre. En effet, la peur empêche de réfléchir correctement et rationnellement alors comment peuvent réagir les autres ? Et si le futur était fait d’une crise politique impitoyable ? Les pessimistes trouvent leur compte dans cette société qui leur offre la peur sur un plateau d’argent. Ainsi, on peut dire que la peur, l’inquiétude nous fragilise. Dans ce contexte où nous perdons tous nos repères, c’est comme si nous tombions dans un grand gouffre, car la seule brindille à laquelle nous pouvions nous raccrocher était notre ego qui s’était identifié à notre quotidien (mon métier, ma famille, mes sorties habituelles…). Ce cocon qui nous protégeait explose en éclats et nous avons l’impression d’être dépossédé, amputé donc fragilisé.
Le confinement est, en lui-même, une expérience éprouvante pour l’individu et peut parfois le briser. Pour ceux qui vivent seuls, c’est d’abord l’enthousiasme de retrouver une certaine solitude qui leur a été volée par leur quotidien habituel et leur rôle social, parfois étouffants. Néanmoins, on se rend compte que le temps est bouleversé lui aussi par ce confinement. Les journées sont longues du fait de cette période dont on ne connait pas la fin, on passe dans « l’expérience de la durée pure », comme le dit Bergson. Et parfois, cette expérience ne se solde pas par une réussite. Le propre de l’homme sont ses relations sociales, il a besoin de voir d’autres personnes comme lui. Etre seul, c’est se retrouver en face à face avec soi-même et quand cela n’a jamais été expérimenté, cela peut être très dur à vivre. Des cas de dépression ont été recensés suite à cette solitude obligée.
D’un autre côté, vivre en famille, parfois un peu les uns sur les autres, peut être également éprouvant. Nous sommes obligés de faire face aux problèmes familiaux que l’on pouvait fuir auparavant en allant au travail par exemple. Chacun est à cran, et si la famille n’apprend pas à faire des efforts de tous côtés, le quotidien peut vite devenir un enfer. En conséquence, les violences conjugales ou sur les enfants ont augmenté durant cette période… Devons-nous craindre une perte d’humanité ?
De plus, le confinement et l’épidémie impose une distance qui peut être dure à vivre. Les distances barrières peuvent nous donner le sentiment d’être rejeté ou d’être comme pestiféré. L’individualisme dont nous faisons preuve pour nous protéger, brise notre humanité, notre rapport bienveillant à l’autre. Il y a quelques mois, laisser une personne mourir sans être accompagnée par sa famille aurait été inconcevable et la population se serait révoltée. Aujourd’hui, bon gré mal gré, nous laissons cela se faire parce que l’argument de la protection de la santé publique prime. Le tri des patients est inconcevable également mais il est pourtant rendu incontournable dans des hôpitaux surchargés. Nous perdons ce que nous appelons notre civilisation, cette capacité à traiter chacun de manière égale et à respecter l’humanité dans chaque individu. Les professionnels de santé ont une approche plus froide, renforcée par toutes les protections (masques, blouses, gants, visières). Les gestes humains, de compassion et d’accompagnement sont parfois étouffés par la peur et ces couches de vêtements, ce qui frustre autant les patients que les soignants.
L’individualisme, dans une situation comme celle-ci, peut devenir dangereux. Ici encore, le passé se rappelle à nous : certains sont en quête de boucs-émissaires comme on en cherchait pour les précédentes épidémies : les Juifs, les personnes de couleur, les étrangers, les Chinois… N’est-ce pas perdre son humanité et notre capacité à être bienveillant que d’accuser autrui ? Ne devrions-nous pas nous serrer les coudes plutôt que de nourrir des animosités ?
Pour finir, cette crise a énormément exacerbé les inégalités. Certains, au métier essentiel, ont dû sortir affronter le risque pour continuer à faire fonctionner la société. Ces travailleurs indispensables ont parfois sacrifié leurs vies pour le bon fonctionnement de notre société. Certains, en chômage partiel, passent leur journée la boule au ventre car ils risquent de tout perdre. Pendant ce temps, d’autres ont le privilège de vivre sous un toit, d’avoir de quoi se nourrir, d’être rémunérés … Nous n’avons pas tous vécu ce confinement de la même façon et il existe parfois un incroyable gouffre entre deux catégories, gouffre qui n’a cessé de s’agrandir durant ces deux mois. Notre société n’est-elle pas plus fragilisée en ces temps troubles ?
Ainsi, avec tous ces arguments, on peut se dire que la crise nous brise profondément, peut-être irrémédiablement pour certains, et le futur qui se dessine parait bien sombre. Pourtant, peut-on dire que le tableau est si noir ? La crise, même avec sa suite de pénibles épreuves, n’a-t-elle pas pu nous renforcer ? « Bronzer » notre cœur, nous rendre plus forts et plus robustes ?
Sénèque disait : « Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient ». Dans ce cas, est-ce envisageable de soutenir que certains individus se sont trouvés renforcés par cette épreuve ?
L’exemple le plus flagrant est bien sûr le mouvement d’applaudissements pour les soignants en premier lieu puis qui s’est peu à peu élargi aux commerces d’alimentation, le traitement des déchets, les postiers, les routiers pour l’approvisionnement et tant d’autres, ces métiers dénigrés qui sont pourtant essentiels au bon fonctionnement de notre pays. Pendant ces deux mois de confinement, 20H était un rendez-vous, un repère dans notre journée, où nous nous retrouvions avec les autres habitants de notre rue pour applaudir les mêmes personnes, partout à travers la France. L’Homme a besoin de rituels, et celui-ci donne l’impression d’être réellement soudé même si chacun est chez soi. Il donne aussi l’occasion de penser à autrui et de ne pas rester centré sur sa petite personne. Certains reprocheront à ces mouvements leur brièveté, mais il est tout de même remarquable pour la solidarité qu’il a su soulever.
Ainsi, à l’inverse de ceux qui se sont enfermés dans l’individualisme, la crise a montré à d’autres que nous étions tous interdépendants. Dans des situations épidémiques comme celle-ci, nous pouvons mesurer combien nous avons un impact sur le monde, car nous pouvons tous transmettre le virus. On ne peut donc pas se renfermer sur soi-même, ne penser qu’à soi et briser les règles. Aussi bien, ce serait un retour de boomerang et l’on tomberait malade. L’interdépendance, c’est se rendre compte que nous avons tous besoin les uns des autres ne serait-ce que pour répondre à nos besoins vitaux (manger, boire…) mais aussi que nous ne pouvons agir qu’ensemble.
D’une certaine manière, on peut dire qu’être éloignés nous a rendus plus proches. Notre rapport aux autres, notre humanité a été renforcée par la crise. Nous osons proposer notre aide à notre voisin plus âgé pour aller faire ses courses à sa place. Les relations se trouvent humanisées : nous sommes plus attentifs à l’autre. Combien ont réappris à regarder autrui dans les yeux ? On se soucie de notre interlocuteur, on retrouve le vrai sens de la formule de politesse : « Comment allez-vous » ; les « prenez soin de vous » ne sont plus lancés à la légère, ils sont plein de sincérité. Alors qu’auparavant, on croisait les gens dans la rue sans forcément dire bonjour, c’est presque si on ne cherche pas ce contact visuel avec les gens. Cette crise « bronze » nos cœurs, dans le sens où elle nous rend meilleur, plus humain. Nous réapprenons à prendre soin des autres, à laisser notre petit ego de côté pour une fois. Les parents réapprennent à connaître leurs enfants, les enfants à avoir de vrais dîners en famille. On cuisine pour ses proches pour partager un bon moment avec eux. Comment expliquer qu’il y ait eu une rupture d’œufs ? Simplement parce que manger un bon gâteau, préparé avec ses enfants et des visages barbouillés de chocolat est un souvenir qui ne demande qu’à être créé.
Quant aux enterrements qui sont ajournés, certains ont décidé de recréer une cérémonie par visio-conférence. Même loin, les membres d’une famille ont besoin de ce moment pour se rassembler. Cela permet d’être plus forts, d’affronter plus facilement ce moment difficile. Et on se rend compte, qu’autant les yeux prennent une grande importance au-dessus du masque, la voix retrouve son entière humanité lors des conférences visuels ou audio. Comme le dit Merleau-Ponty dans Le Visible et l’Invisible : « Ma voix est liée à la masse de ma vie comme ne l’est la voix de personne d’autre ». Dans la tessiture de notre voix, on peut ressentir les émotions éprouvées par la personne, on peut retrouver certains des repères qu’on avait l’habitude de trouver dans le non-verbal. Peut-être que grâce à cette crise, nous sommes plus attentifs aux autres, à leur ressenti parce qu’on se rend compte que tout peut basculer rapidement et que personne ne veut vivre avec des regrets.
Ce nouveau quotidien qu’il faut reconstruire peut aussi être le sol fertile pour développer sa créativité ! Après tout, c’est principalement dans le changement, quand on est hors de notre zone de confort, que l’on grandi et muri le plus. On développe une capacité d’adaptation à travers notre créativité : les élèves réinventent leurs manières d’apprendre en utilisant, combinant les ressources à leur portée. Les professeurs imaginent de nouveaux moyens d’enseigner, contournant le problème de la distanciation par tous les moyens et cherchant à faciliter l’apprentissage de leurs élèves, les gérants d’entreprises cherchent d’autres moyens de prendre la « température émotionnelle » de leurs employés en téléphonant par exemple… Finalement, cette organisation fonctionne si chacun est attentif à l’autre et veille à faciliter la vie de l’interlocuteur. C’est un système d’échange mutuel et de respect mutuel qui s’est développé pour rendre le nouveau quotidien plus facile, plus vivable.
Bien sûr, l’individualité n’a pas disparu. Mais c’est parce que l’individu a des comportements individuels et parce qu’il est respecté en tant qu’individu propre que la solidarité fonctionne.
Pour finir, on peut dire que la crise a fait « bronzer » nos cœurs, ajoutant de nouvelles capacités à nos êtres : prendre soin des autres, développer son adaptation et sa créativité… En surmontant cette épreuve, nous sommes devenus plus forts et meilleurs.
Ainsi, Balzac avait raison ; une crise peut briser ou bronzer un cœur. Cependant, est-ce nécessairement l’un ou l’autre ? Une crise ne peut-elle pas, et nous affaiblir et nous rendre meilleur ? Finalement la délimitation est-elle si nette ? Et si la crise que nous vivons nous permettait une transformation encore différente ?
D’abord, la crise de 2020 a des conséquences sur nous que nous ne voyons parfois même pas. Durant ces deux mois, chacun a pu éprouver de l’optimisme et de la gaieté, et le lendemain, une lassitude et une anxiété désagréable. Finalement, la crise ne nous apporte pas forcément une nouvelle couche, comme une feuille de bronze. Peut-être qu’elle enlève ces épaisseurs qui cachent notre cœur, épaisseurs constituées de mensonges à soi-même, de peurs, d’idéalisations, d’égocentrisme. Nous revenons au cœur, simple, l’essence même de l’individu.
En effet, la Grande Crise de 2020 a nécessairement transformé nos vies. Tout d’abord, le fait que cette épidémie soit une zoonose nous fait enlever cette couche de supériorité que nous avons collée au cœur : nous nous sentons supérieurs aux animaux, supérieurs à la Nature… Ce virus qui se transmet des animaux à l’Homme, nous montre combien cette croyance est infondée. Nous ne sommes pas « différents » de la Terre sur laquelle nous habitons et des autres formes de vies qu’elle héberge. Ce n’est pas la Nature et moi, c’est un tout. Emanuele Coccia pense d’ailleurs que la mort n’est pas la fin de la vie mais la transformation de cette même vie qui circule et prend une autre forme. « La vie passe de corps en corps, d’espèce en espèce, de règne en règne à travers la naissance, la nutrition mais aussi et surtout la mort. » dit-il. Ainsi, avec la crise, nous retrouvons notre véritable « taille », notre place originelle dans le monde.
De plus, la mort nous apparaît, ce concept qui nous fait peur et que nous essayons par-dessus tout d’oublier. Alors, on peut choisir de rejeter cette peur mais la crise nous donne le temps de lui faire face. « Tu ne meures pas de ce que tu es malade, tu meures de ce que tu es vivant » disait Montaigne. En effet, dans notre société, nous faisons de la mort un tabou et cela ne nous aide pas car on en vient à oublier que nous sommes mortels. Quand la mort se rappelle à nous, c’est d’autant plus difficile. Ainsi, fuir la peur et la mort ne sert à rien ; il faut la regarder en face, savoir qu’elle est là pour l’apprivoiser et continuer de cheminer. La crise nous offre un merveilleux moment pour nous arrêter et prendre le temps d’y songer, d’enfin se poser pour regarder notre mortalité en face. On retrouve notre essence, on enlève cette idée d’immortalité que nous donnent les technologies, les progrès scientifiques.
De plus, André Gide ajoutait sur ce sujet : « Une pas assez constante pensée de la mort n’a donné pas assez de prix au plus petit instant de la vie ». En effet, accepter que nous sommes mortels change notre rapport à la vie. Tout devient plus précieux, nous nous obligeons à faire une pause. C’est comme si nous portions des lunettes avec lesquelles nous fixions notre but et nous courions à toute vitesse vers celui-ci ; finalement la crise nous freine et nous enlève ces lunettes qui réduisaient notre champ de vision et nous prenons conscience de tout ce qui se trouve autour de nous en comprenant que nous manquons énormément d’instants et de beauté. Ainsi, quoique cela puisse paraître contradictoire, sans la mort nous n’apprécierions pas l’existence.
Donc la crise de 2020 nous donne tout simplement l’opportunité de penser, de « réfléchir » si l’on reprend les mots d’Arendt dans la Crise de la Culture (1961) « Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement une telle attitude rend la crise plus aigüe mais encore elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle nous fournit ».
Ce temps de pause nous permet de revenir à l’essentiel, de nous libérer des obligations que nous nous imposions et de (re)poser un regard neuf sur notre vie. Cette attitude peut passer par ranger sa maison et faire un énorme tri, nous libérant de ce qui n’a jamais été essentiel, que nous possédions juste parce que c’était « à la mode », ou passer par une véritable introspection, nous donnant la possibilité de changer de quotidien du tout au tout. Certains ont vraiment appris à s’écouter ou se réécouter pendant le confinement. Ils se sont laissés la possibilité d’entendre ce dont ils avaient réellement besoin.
Finalement, la crise nous offre la possibilité de nous libérer des chaines qui nous retiennent, de prendre du temps pour soi et pour les autres et de contempler la vie qui nous entoure. Les citadins sont parfois retournés à la campagne, pour retrouver un contact avec la Nature que l’on oublie d’observer. On laisse de côté l’unidimensionnalité évoquée par l’élève d’Heidegger, Marcuse, pour retrouver une chose un peu perdue, l’instant présent. On éprouve de nouveau la longueur du temps et la place que l’on occupe dans le monde. Ainsi, loin de la mondialisation, un peu coupée du monde économique et social dans nos maisons, on retrouve l’essentiel en soi. On se croit enfermés, prisonniers, alors que la crise nous donne la possibilité de saisir le moment présent et d’être libres.
Pour finir, la crise de 2020 nous a permis de nous libérer des couches qui cachaient notre véritable cœur, l’essence de nous-mêmes. Nous avons eu l’occasion de réfléchir, de cesser de suivre machinalement un quotidien qui nous entraînaient et de nous donner le temps de songer à ce qui était bon pour nous ainsi qu’à ce que nous étions réellement.
Pour conclure, Balzac nous montre que la crise amène toujours une transformation en mal ou en bien mais on peut aussi voir qu’elle peut simplement nous ramener à notre essence. Finalement, la Grande crise de 2020 est peut-être « grande » du fait de toutes les possibilités de transformation qu’elle peut engendrer. Elle peut briser l’individu, réduire son humanité et augmenter sa peur ou au contraire le rapprocher de ses frères et voir en eux son humanité à lui. Elle donne aussi la possibilité de réfléchir et de revenir à l’origine. Evidemment, la réalité n’est ni toute noire, ni toute blanche, et les ressentis sont sûrement plus nombreux. On peut d’ailleurs toujours trouver le penchant qui infirme la règle car en soit, la vie est un étrange équilibre. Il n’y a pas de joie sans tristesse, d’égoïsme sans générosité, d’amour sans haine… Chaque émotion a son contraire et l’on peut passer de l’un à l’autre aussi simplement que les nuages peuvent évoluer dans le ciel. Ainsi, les gens n’ont pas été soit affaiblis, soit rendus meilleurs, soit revenus à l’essentiel ; ils ont peut-être éprouvé ces trois aspects à la fois. Mais comme le dit si bien Claire Marin : « Ce qu’il y a de commun à toutes les personnes qui témoignent ici [de la crise de 2020], c’est que chacune a vécu une expérience limite, absolument inédite. Elle constitue donc un ébranlement intérieur que chacun, à sa manière, devra affronter. »